Je connaissais le site du CIEP. C'est ce qu'il y a de mieux en français sur le net (et les autres liens sont très bons, mais en anglais) ; mais précisément, il me semblait un tout petit peu trop développé pour quelqu'un qui ne connaît pas grand-chose à la reconstruction de l'indo-européen (il commence par la théorie contestée des "glottales", alors qu'il faut déjà bien avoir en tête le reste et la théorie antérieure).
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Bien bien, si vous le voulez, je vais donc tâcher de vous faire une petite initiation à l'indo-européen, comme Bacaline ou Albyx le font en arabe ou en bulgare. J'ai légèrement modifié le titre en conséquence, j'espère qu'Olivier ne m'en voudra pas.
Je n'ai pas le temps cette fois-ci de vous faire une longue intro sur "qui sont les Indo-Européens", et de toute façon cela est déjà mieux expliqué à travers les le net. Je me contenterai de vous parler ici de la "langue"...
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Mais justement, une précision liminaire s'impose : l'indo-européen n'est pas une langue. On peut à la rigueur poser (et encore, c'est de moins en moins évident) qu'il y a plusieurs millénaires, des gens parlaient "une" langue, dont toutes les langues indo-européennes seraient les descendantes. Mais de toute façon, cette langue, nous ne la connaîtrons jamais, si tant est, donc, qu'elle ait jamais existé.
Ce que l'on reconstitue, c'est une sorte d'hypothèse de langue. C'est un peu des formules mathématiques, ou chimiques, qui permettent de rendre compte de la réalité. Ou si vous préférez, comme les plans d'architecte d'une maison. Mais ce n'est pas la maison en elle-même.
Je précise aussi que "proto-indo-européen" (CIEP) et "indo-européen" sont globalement synonymes. Le fait que les allemands disent "Indogermanisch" est un hasard de l'histoire, c'est pareil.
Malgré tout, je vais faire "comme si" c'était une langue. Mais il n'y a pas, par exemple, à s'interroger trop longtemps sur la manière de prononcer tel ou tel "mot" qui semble imprononçable.

Tout va bien jusque là ?
Bon, première leçon :
la structure de la racine indo-européenne
L'IE est assez loin, dans son fonctionnement, de nos langues modernes. Il ressemblerait plutôt aux langues sémitiques. En effet, l'élément de base est la "racine", qui se présente toujours sous une forme "triphonématique" : consonne + voyelle + consonne :
*CVC
De plus, la voyelle centrale se modifie sans que le sens profond de la racine soit modifié : on dit qu'elle alterne (comme en arabe ou la structure trilitère se conserve, et où les voyelles changent).
Cette voyuelle peut adopter cinq formes :
- e, bref ou long : on parle de "degré plein"
- o, bref ou long : on parle de "degré fléchi"
- rien du tout (absence de toute voyelle) : on parle de "degré zéro"
Exemple. La racine qui veut dire "naître" : *gen- (on met toujours un * pour indiquer que c'est de l'IE, et par convention, une voyelle e pour pouvoir la prononcer).
degré plein : *gen- -> latin genus "la race"
degré fléchi : *gon- -> grec goneus "le père"
degré zéro : *gn + to -> vieux latin gnatus "le fils"
-> Pourquoi y-a-t-il un a en latin ? Précisément parce que *gnto est imprononçable. Donc, suivant les langues, on peut une petite voyelle avant ou après, généralement un a (en latin ou en grec), ou un u (en germanique), pour pouvoir articuler. Mais je reviendrai sur ce point.
Autre exemple, cité sur le site du CIEP, *ped- "le pied"
degré plein : *ped- -> latin pes/p
edis
degré fléchi : *pod- -> grec pous/p
odos
degré fléchi long : *pôd- -> anglais f
oot (qui a l'origine est bien un o long, c'est pour cela qu'on écrit encore "oo").
Ces "alternances", vous les retrouvez, un peu changées phonétiquement, mais le principe est le même, dans les verbes irréguliers des langues germaniques
heben / hob / gehoben (là, sans changement)
binden / band / gebunden qui remontent à
*bend- / *bond- / *bnd-
Et idem (sans entrer dans les détails), pour :
fahren (e) / fuhr (o) / gefahren (zéro)
awake / awoke / awaken
Je récapitule :
- Une racine CVC
- Avec une voyelle alternante e/o/zéro (et éventuellement ê et ô).
Ca va jusque là ? Tout le monde a compris ? Même Miguel
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Je reviens juste sur un détail du site du CIEP. Rien à dire pour la bilbiographie papier ou internet (j'ai pas vu tous les sites anglais mais je pense que c'est sérieux). Un seul élément me fait tiquer :
HAUDRY, J., L'indo-européen, Que Sais je ? n° 1798, Paris, 1980.
J. Haudry est un monsieur qu'il faut pratiquer avec précaution.
Pour la bonne (!) raison qu'il fait partie des universitaires d'extrême-droite qui ont sali l'image de Lyon III. Malheureusement, les études indo-européennes ont souvent été dévoyées par diverses idéologies raciales, du nationalisme allemand du 19e au FN, en passant évidemment par le nazisme. J'y reviendrai.
Ce QSJ-là peut être lu. En revanche, fuir comme la peste le QSJ n°1965 du même bonhomme appelé "Les Indo-Européens" - et totalement imprégné de ces idées.