Le Gotique parlé en Crimée au XVIe siècle ?

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patmos
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Post by patmos »

Je ne suis pas très versé dans ce domaine. Mais le sujet m'intéresse car on m'avais parlé du voyage de Busbecq. Il aurait donc rencontré une population avec laquelle il aurait pu communiquer dans sa langue natale (le flamand) dans le sud de la Russie.

Dans le liste de mots la plupart sont similaire ou identique au néerlandais contemporain les exceptions:

pleurer gret* eriten
sang bloth plut
terre airtha statz
blanc hveit wichtgata
lumière liuhath schediit

Petit apparté: une bourgade au nord de Lille près de la fontière belge s'appelle Bousbecque. C'est la région d'origine d'Ogier Ghislain de Busbecq.
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tom
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Post by tom »

ElieDeLeuze wrote:C'est peut-être de Crimée, mais c'est pas du gothique. C'est très très proche du moyen-haut-allemand version "sud".
Ah ! Ch'sui ben content d'avoir le renfort d'un linguiste, moi. Par contre, il y a des points que je ne connais pas bien, dans ce que tu dis :

- quand tu dis "sud", c'est jusqu'à quel point ? Ca exclut, en tout cas, les actuels Pays-Bas ?

- le moyen-haut-allemand, c'est quand ? Et de façon plus générale, quelqu'un pourrait-il m'indiquer les bornes chronologiques de toutes ces phases qu'on attribue à l'allemand ?

Ces deux premières questions, c'est pour déterminer si Busbecq a effectivement rencontré sur place des Bavarois (ou autres), ou s'il fabule complètement en attribuant aux Criméens la langue de son propre village, comme je le supposais un peu plus haut (c'est ce que semble suggérer la conclusion de sa lettre, mais je suis peut-être un peu trop critique).

- connaît-on une raison pour ce passage "laib -> brot" ? 'z'ont changé d'alimentation ? Un peuple de boulangers en a remplacé un autre ?

En tout cas, merci à toi, ElieDeLeuze, pour ces premières infos !
Last edited by tom on 14 Nov 2005 21:14, edited 1 time in total.
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tom
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Post by tom »

patmos wrote:Je ne suis pas très versé dans ce domaine. Mais le sujet m'intéresse car on m'avais parlé du voyage de Busbecq. Il aurait donc rencontré une population avec laquelle il aurait pu communiquer dans sa langue natale (le flamand) dans le sud de la Russie.

Dans le liste de mots la plupart sont similaire ou identique au néerlandais contemporain les exceptions:

pleurer gret* eriten
sang bloth plut
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blanc hveit wichtgata
lumière liuhath schediit

Petit apparté: une bourgade au nord de Lille près de la fontière belge s'appelle Bousbecque. C'est la région d'origine d'Ogier Ghislain de Busbecq.
Merci à toi aussi, Patmos, pour ces précisions (ça va trop vite pour moi : j'ai à peine le temps d'en remercier un, qu'un autre raboule avec plein de nouvelles infos intéressantes). Précisons seulement que si mes souvenirs sont bons (et c'est confirmé par l'article que signale Olivier), Busbecq n'est pas allé lui-même en Crimée, mais a rencontré à Constantinople des gens qui, selon lui, en venaient... qui étaient ces gens ? C'est ça la vraie question.
ElieDeLeuze
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Post by ElieDeLeuze »

Ça peut paraitre bizarre, mais non, les Pays-bas ne sont pas exclus. Mais il y a des petites choses qui me gênent quand même...

sune, c'est un non sens complet pour du bas-francisque flamand. Ça peut être une appoximation de transcription, mais on attend un /o/, pas un /u/.

plut, indique un /u/ aussi, très étrange pour une /o:/ long bas-saxon et bas-francisque....

la chuintante sch- en début de mot, c'est peut-être du limbourgeois, mais surement pas du flamand ni du hollandais occidental.

tag <> reghen : faut-il croire que le /g/ est occlusive en fin de mot mais pas entre deux voyelles? Non-sens d'un point de vue néerlando-flamand. Sans compter que ce /t/ fait tache dans ce contexte. Par contre, c'est du parfait bavarois, voire souabe.

broe pour le pain, ça signifierait que le /o/ à l'origine court et gardé court en hollando-flamand jusqu'à la fin du moyen-néerlandais se serait allongé ou bien que le /d/ médian a disparu ici alors qu'il est intact dans "bruder", c'est étrange... surtout qu'on a "plut" avec /u/. Si c'est du hollandais ou du flamand, ce n'est possible que si le dialect en question est une forme relativement moderne de néerlandais occidental, genre 17e ou 18e siècle. Avant, on a /o/ court pour l'un et /o:/ long pour l'autre.

Schwesster, si c'est du néerlandais, c'est très oriental.... franchement allemand, même.

bruder, même problème.... il faut un /o/ en bas-allemand (hollandais compris).

thurn pour la porte, c'est étrange aussi... il faudrait un truc se terminant par un -e pour faire hollandais ou flamand. Une terminaison en -n, même en admettant que le <th> soit une graphie plus ou moins proche de /d/, c'est quand même pas ce qui vient à l'esprit quand on pense au néerlandais, surtout à une époque où les -e finaux étaient encore intacts (moyen-néerlandais).


Le moyen-haut allemand, c'est de 1050 à 1500. C'est Luther qui fait la frontière, la date de fin change selon quel écrit de Luther on prend pour inaugurer la nouvelle époque. Age classique = 1170-1250. Certains mettent les frontières 1050-1350.... en gros l'age classique plus quelques années histoire de faire tampon...


A mon avis, ce sont des allemands du sud émigrés en Russie qui ont fait leur petite cuisine dans leur coin.... rien d'historiquement révolutionaire.
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bcordelier
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Post by bcordelier »

A priori, les 2 marchands criméens rencontrés par Busbecq étaient de Pérékop, ville située sur l'isthme qui relie avec l'Ukraine.
La date de 1560 citée correspond à l'anéantissement des derniers khanats mongols de la région (Kazan-Horde d'Or 1552, Kasimov, Astrakhan 1554). Le khanat de Crimée se prolongera davantage et sera subjugué par les Ottomans (-->1774, conquête russe).

J'ai un peu de mal à imaginer des marchands souabes, à cette époque, en Crimée. Les plus proches implantations souabes se situaient encore, je crois, en Transylvanie (régions de Cluj, Brasov) certes depuis le XIIIe siècle.
Par contre, des marchands juifs parlant le Yiddish, cela semblerait davantage "plausible". Sachant que les comptoirs vénitiens de Crimée avaient été détruits, le khan de Crimée avait passé un accord d'implantation avec les génois en 1475. Ceux-ci étaient beaucoup plus pragmatiques que les vénitiens et s'appuyaient assez systématiquement sur les marchands locaux. Les juifs étaient déjà présents dans toute la Lithuanie-Pologne (de l'époque) proche, depuis un bon siècle.

D'un point de vue strictement linguistique, est-ce que cette piste yiddish ne serait pas la bonne ?
ElieDeLeuze
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Post by ElieDeLeuze »

Il faudrait des éléments de grammaire plus variés pour déclarer le yiddisch linguistiquement vainqueur avec certitude. Mais les éléments historiques font sans doute pencher la ballance de ce côté. Linguistiquement, en tout cas, le yiddisch s'est formé à partir de vieil-haut-allemand tardif, ce qui prédate donc pas mal de divisions parmi les dialects du sud de la zone germanophone.

La polymorphie du (des) yiddisch au court de l'histoire est telle qu'on peut difficilement faire mieux qu'un avis de probabilité ou d'hypothèse la plus plausible.
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tom
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Post by tom »

NB : Busbecq signale que les gens en question étaient chrétiens. Ca n'est pas totalement incompatible avec le yiddish, mais enfin...
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