Avec l’accord d’Ann (et même à son invite), je reprends ici un débat qui avait commencé dans un autre post (« passé composé », c’est-à-dire là :
viewtopic.php?t=3479&start=60&sid=f9a0e ... f12edd862a)
mais où il était un peu hors sujet).
Après une première passe d’arme sur le subjonctif (où nous conclûmes que sa réalité sémantique disparaissait devant un usage purement mécanique et/ou social), j’avais été amené à faire cette remarque :
peu de langues (pour autant que je les connaissent, cad français, allemand, anglais, etc.) connaissent une telle distorsion entre leurs normes théoriques et leur réalité. Je ne parle pas des détails du genre accord des participes des verbes pronominaux, je parle de ses paradigmes les plus essentiels.
voici les exemples que je citais :
- en théorie : quatre temps grammaticaux absolus (un présent, un passé duratif [imparfait], un passé aoristique [passé simple], un futur) ayant chacun un perfectif qui leur correspond (passé compsé, passé antiérieur, plus que parfait, futur antérieur).
- en réalité : trois temps (présent, imparfait, futur), le passé composé sert à la fois d'aoriste (à la place du passé simple) et de perfectif à tous les temps (sauf peut-être pour l'imparfait, on utilise encore le + que parf.) :
"quand j'étais chez ma grand-mère, j'ai mangé une tarte"
"quand tu as finis, tu viendras"
"une fois que tu as mangé, tu viens"
- en théorie : la négation est portée par un premier élément invariant (ne), est modulée par un second (pas, plus, jamais...)
- en réalité : seul le deuxième élément porte la négation, le premier est plus qu'optionnel.
- en théorie : quatre temps au subjonctif, subissant une concordance des temps, mais aussi une différence de modalité : je voudrais qu'il soit (souhait) =/= je voudrais qu'il fût (regret) [cette seconde règle annihile de facto la première !]
- en réalité : deux temps, sans aucune concordance ni autre modulation.
Toutes les langues connaissent ce genre de "pertes" (cf. le subjonctif I allemand en régression, le subj. II devenu périphrastique : er würde fahren plutôt que er führe ; le subjonctif "quasi-mort" en anglais).
Mais elle me semble quand même plus gigantesque en français. Il n'y a que quelques oiseaux bizarres de mon espèce, et "la Haute" pour suivre la structuration officielle.
Après une méprise dont j’étais la cause (je parlais essentiellement du français), Ann répondait :
Ce que tu expliques sur la négation ou sur le subjonctif ne marche absolument pas en italien où c'est le premier élément qui porte la négation et est obligatoire. Mais meme en français, j'ai testé un peu ce "ne" et tous les locuteurs sont conscients qu'il existe meme s'ils le "sautent" à l'oral, et ils ne le sauteront jamais à l'écrit.
Ce à quoi je répondais :
S'agissant du "ne", je me permets de te contredire gentiment lorsque tu dis "tous les locuteurs en ont conscience". Je suis né, ai vécu, fait mes études secondaire (et même un peu enseigné) dans une ZEP (une banlieue populaire), et bien je te jure que ce "ne" ils n'en ont jamais entendu parler ! Et quand on essaie de le leur imposer, ne fût-ce qu'à l'écrit, c'est à peu près comme leur demander de parler chinois.
Bon, j'ai moi-même écrit plus haut que dans un code bas la notion de norme est un peu diluée. Mais là, c'est plus grave.
Tient, j'en ajoute un qui m'est revenu : quelque part dans ce post ou dans un autre quelqu'un a posé la question de l'accord avec "on" ("on est parti/on est partis"). Je me souviens avoir dit un jour a un étudiant "on fait des travaux à côté de chez nous" et il m'a répondu en substance "ah oui, qu'est-ce que vous faites ?". Pour moi, linguomaniaque, petit-fils caché d'Emile Littré (voir l'histoire avec sa bonne...), né avec un dico dans la bouche, bouffeur de Gaffiot et déclameur de Racine, on = indéfini singulier. Pour n'importe qui de "normal", dans un registre populaire et même courant, on = nous, et rien d'autre. "On" se bat dans les collèges pour que "on" ne soit PAS accordé au pluriel systématiquement. Et je vois la "faute" partout.
Et Anne de me répondre :
Ce n'est pas parce que beaucoup de gens qui n'ont pas eu une éducation suffisante au "code" se plantent qu'on peut dire que le ne est facultatif dans la négation en français. Ils diront et écriront "si j'aurais su" mais personne ne dira qu'en français l'hypothèse se construit aujourd'hui soit avec l'imparfait (norme "familière") soit avec le conditionnel. Mes enfants disent je l'ai prendu comme beaucoup d'enfants français mais ils apprendront que ce n'est pas cela...
Pour ce ne, j'ai réfléchi hier que l'on peut prouver qu'il n'est pas facultatif puisque dans certains cas, meme à l'oral l'absence du ne bloque la grammaticalité de la phrase dans tous les registres:
"Pas s'asseoir" ne veut rien dire "Ne pas s'asseoir" prend sens
"personne lit" ne veut rien dire non plus alors que "personne ne lit" ou meme "y'a personne qui lit" pourrait etre compris.
J'ai remarqué cela avec une phrase d'un livre de mes enfants, quand je la retrouverai je la copierai où en rapportant les paroles d'un personnage, on a écrit deux phrases de suite sans le ne. la première je rajoute le ne à l'oral, la deuxième me va sans le ne.
C'est un peu selon moi comme le e "muet" qui n'est pas toujours éliminable: je peux dire "je r'viens" ou j'reviens" mais on ne dira jamais "j'r'viens". Le "ne" peut etre sous entendu mais il reste pour nous, et s'il n'est pas rare que nous écrivions comme nous parlons à l'oral (on s'appliquera dans une lettre administrative mais en écrivant un mail à nos potes on fera moins attention et on pourra écrire "comme on parle", le "ne" apparait à l'écrit, naturellement, pour la plupart de nous).
et à propos du "on" :
Moi je m'énerve avec les grammaires de fle qui continue de considérer comme fautif le "on" = nous!
Aujourd'hui on a aussi valeur de nous, et accorde le participe passé dans ce cas avec le nombre logique du sujet. Les grammaires actuelles me donnent tout à fait raison, c'est une transformation de la langue à laquelle on doit se faire, et elle ne me dérange pas, loin de là, je pense que c'est en partie du à la difficulté dans la conjugaison de la première personne du pluriel, souvent différente avec la deuxième du reste de la conjugaison. M'enfin peu importe les raisons...
Tels étaient les termes du débat. Après quelques jours d’absence (désolé, Ann, mais la fin de l’année approche et je suis méga- giga- péta-* en retard pour mon mémoire), je le relance ici, en l’élargissant - car il s’adresse à tous, et pas seulement aux saucissonneurs de pattes de mouches (vulgairement appelés linguistes) - et en le reformulant :
a) Quel vous semble être l’écart entre la norme (le français « des grammaires ») et l’usage en français et pour comparaison dans vos autres langues. Estimez-vous qu’il est disons « normal » et qu’il n’entrave pas l’intercommunicabilité** (woh ! ça c’est du mot), ou pensez-vous (comme moi) que l’on aperçoit aujourd’hui comme les linéaments** d’une véritable scission** au sein de la langue française (selon les arguments ci-dessus exprimés)
* péta- = x 10^15
**Pardon pour mes grand/gros mots mais je suis trop fatigué pour faire simple)
b) éventuellement, quelle est votre opinion sur chacune des pinailleries grammaticales qu’Ann, Franck et moi-même avons pinaillées dans le ce pinaillement ?
Voili. ("ma" réponse sur le fond dans un autre message, et plus tard)